« A MURBACH »
Un beau jour d’ un bel été. Un nom pour un lieu d’ exception. A découvrir sans hésitation.
Aux essarts de Guebwiller, l’abbaye de Murbach est reconnue comme un des lieux phares de la Route Romane d’Alsace. S’y pressent des touristes avides de calme, de spiritualité ou de découvertes artistiques car les trois se trouvent ici réunies. En été un guide vous contera l’histoire des moines de Guebwiller venus ici fonder cette abbaye ; en hiver vous vous contenterez du livret en vente…mais personne n’évoquera pour vous l’histoire d’Adèle M. qui durant plus d’un demi-siècle fut l’ âme honnie ou glorifiée de ce coin si reculé…
Son histoire par elle me fut contée, en tout début des années 2000…un jour où je pénétrais dans le jardin de Murbach, sis à quelques centaines de mètres de l’ imposante façade, au pied de la porte fortifiée qui marquait l’entrée de l’ enceinte monastique.
Ce jardin extraordinaire capte le premier regard lorsqu’on arrive dans ce lieu au bout d’une longue route s’étirant entre sapins exubérants et sous-bois touffus. Composé de plusieurs lopins carrés où la terre est contenue par de discrets alignements de pierres irrégulières, chaque carré accueille fleurs, plantes arbustives, potagères, odorantes , simples dans un savant fouillis dont l’ effet couleur / texture / verticalité / Volume suscite l’ admiration. Les questions du visiteur trouvent réponses puisque le nom latin et français de chaque plante est calligraphié en onciales blanches sur des planchettes de bois vert foncé piquées dans le sol ; et sur chacune la plante est peinte avec minutie. Un travail d’artiste, amoureux de la nature doit être à l’ origine de ce jardin de paradis.
Tout proche de la minuscule et fine fontaine sise au milieu du dit jardin, une dame vêtue de noir ; chignon très blanc bas sur la nuque, largement octogénaire, s’affaire à discipliner l’ exubérance d’ un pied de menthe poivrée qui aimerait tout envahir. Je ne peux m’ empêcher de la saluer et de la féliciter car je sens , sans doute possible , qu’ elle est la gardienne de ce temple dévolu aux plantes….
Elle se relève d’une façon très alerte, nos sourires se croisent et nos idées se télescopent : oui, elle est disponible, oui elle sera ravie si j’ ai le temps de l’ écouter elle me racontera l’ histoire des plantes , du jardin, du lieu et même de sa vie !
Elle me propose donc de rejoindre le banc, caché le long d’un mini ruisseau bordant le jardin de son onde joyeuse.
« Eh bien voilà, je m’ appelle Adèle, M ; je suis née ici dans la maison que vous voyez là, au bout du jardin. Elle était alors constitutive du mur d’enceint fortifié qui ceignait le site de l’ abbaye. Je suis la fille du couple de gardiens, ils ont vécu là jusqu’à leur mort, fin des années 50, ils ont connus les deux guerres qui ne nous a pas épargnés. Mes parents accueillaient les visiteurs, les renseignaient, les orientaient …et prodiguaient tous leurs soins à l’ abbaye.. Bien sûr vous l’ avez visitée, me demanda-t-elle ?
« Pas encore, répondis-je, le jardin est si beau que je ne suis pas encore allée jusque là ! Elle est imposante, impressionnante. Vous avez eu beaucoup de chance de vivre ici …
« Si on veut, me répondit-elle, car vous savez, de ce paysage grandiose mais limité car la route n’ arrive nulle part, je me sentais prisonnière…j’ avais envie de liberté…Ce ne sont pas les quelques maisons de ce micro-village , entourées de jardins épanouis, ni cette abbaye trop grande pour moi qui pouvaient me permettre d’imaginer le vrai monde, celui d’au-delà des sapins ! Et en plus , mes parents me destinaient à la vie monacale, je devais être novice au couvent d’Ottmarsheim , prononcer ensuite mes vœux et rejoindre une communauté carmélite du centre de la France ; Tout cela alimentait mes cauchemars et, quand à quinze ans et demi, juste avant d’entrer en noviciat, est passé par ici un vagabond séduisant, le bel Armand, je n’ ai pas hésité, je suis partie avec lui…Le scandale ici, je l’ai imaginé…mais tant pis , j’ étais loin ! Il fallait que je m’échappe de cette vie toute tracée…et je l’ ai fait.
Le bel Armand a eu tôt fait de se servir de moi. Bateleur de son état, j’ai, en le suivant, tout vu, tout vécu, tout appris. .Ma naïveté, mon inconscience, je les ai payées très cher ! J’ai vécu quatorze années à sillonner les routes, à vivre d’expédients, à connaître les hommes, leurs vertus et leurs défauts…et un jour les sapins m’ont manqué. Et puis j’avais négligé ma santé. Jai pensé que le seul lieu où je pourrais me ressourcer, c’ était Murbach ! Je n’ avais aucune nouvelle de mes parents. Le hasard fît qu’ils sfussent encore là tous les deux et qu’ils puissent m’ accueillir comme on reçoit un enfant, perdu un temps, mais qui enfin rentrait au bercail.
Grâce à leur amour j’ ai repris des forces, je m’ apaisai de tous mes tourments et au seuil de la trentaine, je découvris enfin les richesses de cette abbaye, de ce village que j’ avais voulu fuir. J’ai partagé la sérénité qui règne à l’ intérieur de ce « morceau d’ église »(il ne reste que le transept ) ; admiré les vitraux modernes diffusant une lumière changeante à chaque heure du jour ; remercié l’autel recevant mes prières, ,contemplé le tableau votif dont j’ admirais la finesse, découvert l’enfeu du comte Eberhart dont l’histoire est si intimement liée à mon village. Je me suis recueillie souvent au pied du cénotaphe des moines et j’ai gravi en silence les marches cirées de l’ambon…préfiguration de la montée au Paradis…
Et j’ ai aussi appris, moi la mécréante, qu’ici je trouvais le repos de l’âme et la paix laïque.
Un plus aussi, le maire du village me confia la responsabilité de créer ici, un jardin, celui-là même où nous sommes. C’était il y a cinquante ans ! voyez comme j’ ai obéï. J’ai tout aménagé, créé de mes mains .Il est ma vie ce jardin !
Mes parents m’ont quittée à deux ans d’intervalle. Ils l’ont vu en friche ce morceau de terre, puis peu à peu ils ont compris que ma rédemption était là.